Quand Eric Zemmour dénonce l’obsession de l’inclusion scolaire

La récente prise de position d’Eric Zemmour, qui préconise une limitation de l’inclusion scolaire et le retour en établissement des élèves qui seraient de trop dans l’école ordinaire, nous paraît être un effet d’annonce superficiel, non argumenté et essentiellement destiné à se rallier tous les conservatismes. Quant à louer l’école du passé, quand il s’agit de l’inclusion scolaire, c’est parfaitement ridicule. Parlons au contraire du chemin déjà parcouru et du chemin qui reste à faire.

C’est la loi d’orientation de 2005 qui a relancé l’inclusion des personnes handicapées

Eric Zemmour ne s’en prend pas directement à la loi d’orientation de 2005, mais c’est bien celle-ci qui a donné un nouvel et vigoureux essor à l’inclusion scolaire. C’est à elle qu’on se réfère aujourd’hui, parce que le regard a changé, parce que les personnes en situation de handicap sont reconnues comme des citoyens à part entière, parce qu’on ne veut pas les laisser sur la touche.

En fait, la loi de 2005 est une loi en faveur de l’inclusion sociale des personnes handicapées et non seulement en faveur de l’inclusion scolaire. Son originalité est de ne pas se limiter à proposer d’aider, individuellement, chaque personne handicapée, mais de vouloir favoriser l’inclusion de ces personnes en transformant leur environnement pour le rendre accessible et accueillant. L’accent est donc mis sur la situation de handicap et sur les conditions d’accueil des personnes handicapées dans la société.

Il ne reste plus à Eric Zemmour qu’à dire qu’il faut renvoyer en établissement une majorité de ces personnes handicapées, pour leur bien, parce que, pourrait-il dire, elles ont une vie souvent trop difficile, et pour le bien des autres, parce qu’elles sont tout de même un peu dérangeantes.

Faut-il multiplier les établissements spécialisés ?

Faudrait-il placer un plus grand nombre d’enfant en établissement, comme semble le souhaiter Eric Zemmour ? Il n’y a aujourd’hui aucun laxisme à ce sujet. L’entrée en établissement n’est pas laissée au hasard ou à la préférence des uns ou des autres. Ce sont les MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées) qui orientent en établissement spécialisé les enfants handicapés quand ce dispositif répond à leurs besoins.

On observe d’ailleurs une grande stabilité du nombre de ces orientations et des effectifs des établissements du secteur médico-social (IME, ITEP, IEM, Déficit sensoriel, polyhandicap) qui sont passés de 106 032 en 2007 à 104 519 en 2018. On notera aussi un réel effort de scolarisation au sein de ces établissements. Le nombre des élèves scolarisés dans les Unités d’Enseignement des IME est passé de 71000 en 2007 à 77000 en 2020.

Le nombre des élèves en inclusion scolaire a-t-il beaucoup augmenté depuis 2005 ?

Le nombre des enfants en situation de handicap en inclusion scolaire a-t-il beaucoup trop augmenté, comme le laisse entendre Eric Zemmour ? Il est certain que du point de vue statistique, le nombre des élèves en inclusion scolaire a considérablement augmenté au cours des dernières années, passant de 162 000 en 2007 à 380 600 en 2020. L’Education nationale ne manque pas une occasion de s’en féliciter.

Cela signifie-t-il qu’on mettrait dans les classes ordinaires de plus en plus d’élèves de plus en plus handicapés ? La réponse doit être nuancée. En fait, la loi a eu pour effet une meilleure reconnaissance du handicap. Beaucoup d’élèves jadis considérés comme en retard ou en difficulté ou jadis suivis par les RASED (Réseaux d’Aide Spécialisés aux Elèves en difficulté) bénéficient aujourd’hui d’un PPS (Projet Personnalisé de Scolarisation) et sont comptabilisés en tant qu’élèves en situation de handicap. C’est surtout le nombre des PPS établis pour chacun de ces élèves qui a connu cette augmentation remarquable.

De plus, grâce à cette meilleure prise en compte du handicap, un grand nombre de ces élèves peuvent poursuivre aujourd’hui leur scolarité dans le second degré. Ce qui contribue aussi à l’accroissement des effectifs considérés.

Ainsi, ce qui est significatif ici, plus que l’augmentation du nombre des élèves en inclusion scolaire, c’est la meilleure prise en compte du handicap pour un accueil mieux adapté des élèves. Cette évolution correspond à un mouvement général de la société marqué par l’action des associations et des familles et par une réelle volonté politique.

Mais ne serait-ce pas justement cette évolution dans le sens d’une société plus ouverte que craignent certains, qui vont dénoncer « une pression excessive en faveur de l’inclusion scolaire » ?

Y a-t-il une pression excessive en faveur de l’inclusion scolaire ?

On ne peut pas dire que ce soit le cas, car s’il n’y avait pas eu cette pression de la part des associations de parents et de la part d’enseignants très convaincus, on n’en serait pas où on en est aujourd’hui !

Y a-t-il eu, y a-t-il encore parfois des excès, ou des erreurs, ou des ratés dans la volonté de demander à tous les enseignants d’accueillir et d’adapter leur enseignement aux élèves en situation de handicap ? C’est également indéniable. Le souci d’égalité conduit peut-être un peu trop, en France, à nier les particularités. Vouloir mettre tous les élèves handicapés en inclusion « dans l’école la plus proche du domicile », comme se plaisait à le répéter Ségolène Royal, alors ministre adjointe de l’Education nationale, c’est un beau slogan, mais un brin démagogique.

L’inclusion scolaire n’est pas un processus simple, qui se décrète une fois pour toute. C’est un processus complexe, qui se construit par étape. Certains de ses promoteurs l’oublient parfois. Les politiques ont réagi vigoureusement aux propos d’Eric Zemmour : pitoyable, vision misérabiliste, scandaleux, impardonnable, violent, injurieux… Pourquoi pas. Mais on attend aussi des politiques qu’ils aient une vue des problèmes encore non ou mal résolus et des décisions encore à prendre. On peut dire le contraire d’Eric Zemmour tout en restant aussi superficiel.

Car pour recevoir ces élèves, il faut adapter aussi les lieux et les situations d’accueil. Le problème n’est pas de renvoyer les élèves handicapés qui poseraient problème dans les établissements spécialisés, il est de s’interroger sur les conditions d’une bonne inclusion dans l’école. Beaucoup a déjà été fait, bien sûr. Mais le travail est loin d’être terminé.

Il faut donc écouter et soutenir les acteurs de l’inclusion scolaire

Et c’est là, du côté des conditions d’accueil à l’école, que se situent aujourd’hui les principales difficultés et les faiblesses de l’Education nationale. C’est sur ce point que portent principalement les plaintes et les réclamations des parents.

Beaucoup est fait auprès de chaque élève en situation de handicap. Le PPS peut prévoir notamment une aide humaine centrée sur l’élève handicapé (accompagnement par un AESH) et des aménagements de la scolarité. Mais beaucoup est demandé aux enseignants car concernant précisément ces aménagements, le PPS, le plus souvent, ne donne que des indications très générales, et leur renvoie la responsabilité de les concrétiser et de les mettre en œuvre au jour le jour.

Bien des enseignants se trouvent isolés et démunis le jour où l’un de ces élèves leur est confié.

Face à ces situations, les mesures à prendre peuvent être multiples. Certaines d’ailleurs sont déjà en application. Ce n’est pas le lieu de les détailler ici. Indiquons seulement que nous en voyons deux catégories, complémentaires.

Certaines de ces mesures ont pour but de renforcer le partenariat entre l’enseignant et les professionnels de la santé ou du secteur médico-social : intervention d’un psychologue ABA dans la classe auprès d’un enfant autiste ou d’un orthophoniste auprès d’un élève dysphasique ; faire davantage appel à des éducateurs spécialisés comme le recommande le CNCPH (Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées) et Jacques Attali (« Faire réussir la France », p 220), etc..

D’autres mesures, dans le cadre de l’Education nationale, s’avèrent extrêmement utiles aussi pour aider les enseignants, hic et nunc, en cas de besoin. C’est par exemple la nomination de conseillers pédagogiques disponibles pour intervenir auprès des enseignants, tels que les enseignants ressources pour l’accueil des élèves autistes, mis en place depuis la rentrée dernière dans chaque département.

Ces quelques exemples manifestent bien qu’il y a aujourd’hui une réelle dynamique en faveur de l’inclusion scolaire. Il y a certes encore des échecs et des déceptions. On cherchera comment y remédier plutôt que comment repartir en arrière avec ceux qui ne veulent rien changer.

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