La trisomie est aujourd’hui en France la première cause de handicap mental. Elle touche environ un enfant sur 2000 (1). L’association Trisomie21-France estime qu’environ 50 % des enfants avec trisomie sont déjà orientés en IME dès la sortie de la maternelle et qu’il n’en reste finalement que 20 % dans le 2nd degré, en classe ordinaire ou en ULIS. Les parents souhaiteraient pourtant que leurs enfants vivent le plus possible au milieu des autres. Il y a là des raisons de nous interroger sur les critères de l’orientation…
Trisomie21-France fédère une cinquantaine d’associations locales. Nous avons rencontré Nathanaël Raballand, son président, et Emmanuel Guichardaz, chargé des questions scolaires. Nous avons évoqué avec eux les objectifs de l’association et les difficultés de l’inclusion scolaire. Cet article reprend largement leurs propos.
Les objectifs de Trisomie21-France : volonté d’autonomie, d’autoreprésentation et d’autodétermination pour les personnes trisomiques
On imagine trop souvent que puisqu’ils ont des compétences intellectuelles réduites, tout ce qu’ils réussissent relève du miracle. Il faut au contraire reconnaître que les enfants et les jeunes avec trisomie ont des capacités. Des capacités qu’on doit leur permettre de vivre et d’exprimer.
On ne fera donc pas à leur place ce qu’ils sont capables de faire. C’est un principe fondateur de l’association Trisomie21-France : ne pas parler à la place des personnes trisomiques, ne pas répondre à leur place mais leur laisser la parole. Ce que l’association appelle l’autoreprésentation, l’un de ses grands thèmes actuels.
Dans les actions de formation qu’elle organise, par exemple, l’association fera appel le plus possible aux personnes avec trisomie pour intervenir auprès de leurs pairs. Ce sont des jeunes trisomiques qui apprennent à leurs camarades à circuler en métro de manière autonome ou à prendre le train. Ou bien certains, qui disposent d’une carte bancaire (sans paiement différé !), expliqueront comment on s’en sert. Au cours des journées de formation, des ateliers sont animés par des binômes de personnes avec une trisomie. Sur ces questions, voir le site de Trisomie21-France.
L’autodétermination, l’autre grand axe de l’action de l’association, c’est aussi permettre à la personne trisomique de faire ses propres choix de vie, par exemple le choix d’un sport.
A l’école aussi, autodétermination. L’enfant trisomique comprend les consignes, si elles sont exprimées de manière simple. Il est loin d’être toujours souhaitable qu’il soit cornaqué à temps plein par un AESH. On aura compris que le but premier, même à l’école, est l’autonomie de la personne.
Tout ce que nous disons là doit être, bien entendu, adapté au cas par cas. Il y a un large panel des enfants et des jeunes avec trisomie. Ils ne sont pas tous identiques les uns aux autres ! Le fils de R., en classe de 6ème (avec une AESH) lit couramment et écrit correctement (ce sont les math qui peuvent poser davantage de problèmes ou l’insertion dans une discussion de groupes). Mais d’autres ne parviennent pas à écrire.
Un projet à long terme : désinstitutionnalisation mais accompagnement
Trisomie21-France ne cache pas une certaine méfiance vis-à-vis des IME. On constate d’abord que d’une manière générale la scolarisation y est tout à fait insuffisante. Des enfants qui sont lents dans les apprentissages auraient plutôt besoin de plus d’heures de classe que les autres. Or c’est généralement l’inverse en IME. Ce n’est pas avec trois heures de classe par semaine qu’ils apprendront à lire. Et l’on dira : voyez, il n’était pas capable d’apprendre à lire !
On dénonce aussi ce conseil pernicieux, même s’il est réaliste, qui consiste à dire aux parents : mettez-le donc en IME, car vous êtes sûrs ainsi que plus tard il aura une place en ESAT !
La critique fondamentale repose sur la crainte que le médico-social ne prépare pas les personnes à être indépendantes. On encadre une population dont on va s’occuper toute la vie. Les moyens du secteur médico-éducatifs (moyens médicaux, paramédicaux, éducatifs, etc.) sont sans doute nécessaires, mais il faudrait casser le cadre. (2)
C’est ainsi qu’on préconise la désinstitutionnalisation. Il ne s’agit pas de faire disparaître le médico-social, mais de faire en sorte que ce ne soit pas le médico-social qui impose sa loi, qu’il s’agisse des IME, des SESSAD, ou même parfois des associations gestionnaires des établissements. Le médico-social doit être au service des personnes trisomiques pour la mise en œuvre des décisions qu’elles auront prises. Vouloir la désinstitutionalisation, c’est vouloir plus de partenariat librement consenti. Avec pour conséquence assumée de redonner plus de pouvoir au secteur libéral.
Les responsables associatifs espèrent que la réforme de la tarification du secteur médico-éducatif envisagée pour 2023, favorisera une évolution en ce sens. Cette réforme devrait conduire à confier davantage aux famille la gestion des enveloppes budgétaires.
Un obstacle à la scolarisation : les refus d’orientation en ULIS
L’association Trisomie21-France fait état d’un grand nombre de témoignages de parents ou de responsables associatifs qui alertent sur des refus systématiques d’orientation en ULIS pour les élèves avec trisomie 21, au motif que « l’élève ne pourrait pas suivre pendant les temps d’inclusion ». En d’autres termes, l’enseignement des ULIS ne serait pas adapté pour les élèves trisomiques !
Cette situation n’est pas nouvelle. Elle repose sur une interprétation restrictive des textes officiels. La dernière circulaire sur les ULIS, de 2015, a pourtant rappelé une fois encore que « les élèves orientés en ULIS sont ceux qui (…) nécessitent un enseignement adapté dans le cadre de regroupements » et que l’ULIS « offre aux élèves la possibilité de poursuivre en inclusion des apprentissages adaptés (…) même lorsque leurs acquis sont très réduits ». Ces directives sont valables pour le primaire comme pour le 2nd degré.
Il semble qu’on soit victime d’une idée fausse de l’inclusion scolaire. Car certes il est louable de favoriser la participation des élèves de l’ULIS aux autres classes de l’école ou du collège chaque fois que c’est possible, mais on ne doit pas oublier que l’ULIS est d’abord un regroupement d’élèves présentant en l’occurrence des troubles des fonctions cognitives.
Il est paradoxal de constater que ce serait au nom de l’inclusion scolaire que certaines EPE (Equipes Pluridisciplinaires d’Evaluation) et certaines CDAPH (Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes handicapées) en viennent à envoyer en IME des élèves qui devraient avoir leur place en ULIS ! On ne peut que recommander aux associations départementales des parents d’enfants trisomiques de mener des actions fortes à ce sujet auprès des IEN-ASH et des Inspecteurs d’Académie, auprès des enseignants référents et auprès des MDPH de leurs départements.
Informer, expliquer, informer. Le rôle des associations…
L’Association Trisomie21-France sait que ses buts sont ambitieux et donc exigeants. Exigeants vis-à-vis des personnes et exigeants vis à vis des institutions.
Concernant la scolarisation, une des clés de la réussite est l’équipe tripartite. Les parents doivent l’accepter et la favoriser. L’équipe tripartite ce sont des parents, des enseignants et des personnels spécialisés qui se rencontrent et qui parlent ensemble.
Un enseignant bienveillant est celui qui a compris qu’il peut faire progresser l’élève avec trisomie. Une difficulté de la scolarisation tient au fait que l’enfant trisomique a moins de filtre émotionnel que les autres. Il ne prend pas ses distances par rapport à ce qui a été dit. L’enseignant doit donc être extrêmement attentif à sa propre attitude. L’élève aura vite senti s’il est bien accepté ou pas et quelle confiance l’enseignant a en lui. Et il modèlera son comportement sur ce ressenti.
Une formation et une information des intervenants est donc nécessaire. Pas seulement une formation générale sur la trisomie, mais une réflexion au quotidien, qui s’interroge sur les interactions des uns et des autres. Une formation en direction des enseignants, en direction aussi, bien sûr, des AESH qui sont là pour aider l’école à accueillir les enfants handicapés.
Le premier objectif qui s’impose aux associations des parents est donc assez évident : elles doivent expliquer, informer, contrer bien des idées toutes faites, et toujours expliquer. Ceci à tous les niveaux : au niveau d’une réunion d’enseignants si elles y sont invitées, au niveau d’un collège, d’une école ou d’une classe, chaque fois que c’est possible, et en direction aussi des instances qui gèrent les orientations des élèves.
L’un des axes de travail de l’Association, que nous ne pouvons développer ici, concerne l’insertion professionnelle. Il ne vient pas à l’esprit de tout le monde qu’une personne avec un handicap mental puisse avoir un travail adapté au sein d’une entreprise ordinaire. Pourtant, sur un travail adapté, les personnes avec trisomie peuvent s’avérer être des travailleurs peut-être lents, mais sérieux. Là encore, il s’agit d’informer, tant au niveau des centres de formation qu’au niveau des entreprises.
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(1) Pour plus de renseignements statistiques, voir Déficience intellectuelle et trisomie 21 > Statistiques
(2) C’est la raison pour laquelle Trisomie21-France est également engagée dans le programme des « assistants aux parcours de vie », ou « médiateurs de parcours inclusifs », une fonction émergente qui vise à aider les personnes à élaborer et construire leur projet de vie.
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Trisomie21-France – https://trisomie21-france.org/
5 commentaires sur “L’inclusion scolaire encore insuffisante des enfants trisomiques”
Pascal Sillou nous adresse, en guise de commentaire, le texte d’une intervention d’Henry Lafay au colloque international sur la trisomie de Lyon, 16 octobre 1987 : « Trisomie 21 : l’intégration à l’école ».
Henry Lafay était le président de l’APAJH.
Voir le texte de cette intervention sur http://scolaritepartenariat.chez-alice.fr/page611.htm
La volonté d’intégration ne date pas d’hier !