La disparition du Président Valery Giscard d’Estaing a été l’occasion d’évoquer, parmi les actions marquantes de son septennat, l’adoption de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975. Cette loi marquait, en France, le début d’une politique publique du handicap.
Les responsabilités de la société vis-à-vis des personnes handicapées
Une urgence : organiser le Médico-social
En 1975, l’aide aux personnes handicapées et leur prise en charge étaient encore une affaire privée. Beaucoup avait déjà été fait, mais essentiellement par les associations de parents ou de professionnels, et donc de manière très dispersée, bien qu’avec des aides de l’Etat. Les financements restaient problématiques, les orientations dépendaient des dispositions de chaque établissement.
Il devenait nécessaire d’assurer la prise en charge sociale des personnes handicapées, de revoir l’organisation du secteur médico-éducatif, son financement, ses modalités d’action et de repenser la place des personnes handicapées dans la société. C’était l’urgence du moment. C’était l’objet fondamental de la loi du 30 juin 1975.
La loi, défendue devant l’Assemblée Nationale par Simone Veil, ministre de la Santé, avait été préparée par René Lenoir, secrétaire d’Etat à l’action sociale. René Lenoir avait écrit un livre intitulé « les exclus ». Ce titre est significatif de la situation à cette période mais aussi du chemin parcouru depuis. Le handicapé n’est plus aujourd’hui la figure emblématique de l’exclusion, d’autres ont pris la place.
Une idée forte : la solidarité
La loi exprimait deux idées fortes et toujours actuelles. La première est que la prise en charge des personnes handicapées est une obligation nationale. La loi de 75 n’employait pas le mot « solidarité », qu’on trouvera dans la loi de 2005. Mais en parlant d’obligation nationale, on sortait d’une logique d’assistanat pour entrer dans une logique de solidarité.
Qu’est-ce que la solidarité ? La solidarité est une notion qui a progressé dans l’histoire, quand on a pris conscience qu’une partie des malheurs de l’humanité et des situations d’exclusion ne s’expliquaient pas par un échec ou une faute de ceux qui en étaient les victimes, mais par un dysfonctionnement social ou par un accident naturel. D’où la nécessité, au nom de la justice, d’y remédier.
Cette pensée n’est pas nouvelle et pourrait être inspirée de Jean-Jacques Rousseau : « Au lieu de détruire l’égalité naturelle [sous-entendu : qui n’existe pas], le pacte social substitue au contraire une égalité morale et légitime à ce que la nature avait pu mettre d’inégalité physique entre les hommes, et bien que pouvant être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention et de droit. » (Le Contrat social – Fin du livre 1).
Sortir de l’exclusion, avoir des droits et des devoirs reconnus par la loi, c’est devenir citoyen. L’idée n’est pas nouvelle. Encore faut-il la mettre en œuvre.
Une seconde idée forte : le partenariat
Concernant les enfants, la loi de 75 officialisait de fait une autre obligation, qui a pris depuis une importance croissante, celle du partenariat, même si le terme ne figure pas comme tel dans la loi. L’enfant handicapé a droit à l’éducation et il a droit aux soins. La loi rapprochait les ministères de l’Education nationale et de la Santé, en créant une instance centrale, la CDES (Commission Départementale de l’Education Spéciale), où siégeraient simultanément les représentants de l’un et l’autre ministère et dont la présidence serait assurée alternativement par l’Inspecteur d’Académie et par le Directeur de la DDASS (Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales).
La CDES avait pour mission d’appliquer les dispositions de la loi de 75 en faveur des personnes handicapées. Elle devait de prendre les décisions relatives à l’orientation des enfants et adolescents handicapés et à l’attribution des aides financières aux familles, notamment l’AEEH (Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé). La CDES est l’ancêtre de la MDPH.
Le but était une volonté de faire travailler ensemble les milieux qui connaissent l’enfant pour une meilleure prise en compte de ses besoins.
Education ou scolarisation ?
On reproche parfois à la loi de 75 de n’avoir pas suffisamment préconisé l’intégration scolaire des enfants handicapés. Et il est vrai que sa priorité était autre. Nous pensons pourtant qu’elle n’en a pas moins initié une dynamique en faveur de l’intégration, notamment en adoptant le principe de l’obligation éducative.
L’obligation éducative, adoptée aux termes de débats mouvementés
Lors de la présentation de la Loi à l’Assemblée nationale, les débats portèrent notamment sur la place respective des Ministères de la Santé et de l’Education nationale. L’opposition de gauche cherchait à obtenir une rédaction qui affirmerait totalement et explicitement la responsabilité de l’Etat, lequel ne saurait se contenter de « coordonner des actions ». La majorité de droite se montrait soucieuse que la loi ne donne pas le sentiment de décharger les familles de leur rôle premier de protection et d’éducation.
Les premiers soulignaient la prééminence du Ministère de l’Education nationale, les seconds celle du Ministère de la Santé et du tissu associatif privé. « Vous n’accordez pas au Ministère de l’Éducation nationale la place qui devrait être la sienne, c’est à dire la première, car le rôle du Ministère de la Santé ne devrait être que complémentaire. Les établissements privés ont pris de plus en plus d’importance… » dira André Tourné député du PCF, tandis que l’abbé Laudrin, député UDR du Morbihan, lui répliquera : « Tant mieux ! ».
Finalement l’amendement déposé par le gouvernement ne retenait pas l’expression « d’obligation scolaire » mais faisait apparaître pour la première fois l’expression tout à fait nouvelle d’obligation éducative : « Les enfants et les adolescents handicapés sont soumis à l’obligation éducative. Ils satisfont à cette obligation en recevant soit une éducation ordinaire, soit, à défaut, une éducation spéciale, déterminée en fonction des besoins particuliers de chacun d’eux par la CDES et associant des actions pédagogiques, sociales, médicales et paramédicales. »
Le Secrétaire d’Etat René Lenoir précise alors : « Ce qui compte – sur ce point nous sommes tous d’accord – c’est qu’il y ait éducation suivant le cas de l’enfant. Il va de soi que lorsqu’il s’agira d’une éducation de type scolaire elle pourra être donnée dans un établissement scolaire. Mais (pour des enfants perturbés) le traitement vient d’abord, l’enseignement ensuite. Il n’y a pas pour autant dispense d’éducation. Simplement, l’éducation n’est pas « scolaire » pour un temps plus ou moins long. » (Marc Barthélémy, « Histoire de l’Enseignement spécial en France, 1760-1990 », Ed. DIALOGUES, 1996, pages 227-245.)
C’est dans cet esprit que la loi était votée le 30 juin 1975.
Suite dans le prochain article : « Comprendre l’évolution de l’intégration scolaire de la loi de 1975 à celle de 2005«
3 commentaires sur “La loi d’orientation du 30 juin 1975 ou le début en France d’une politique du handicap”
Les enfants et les adolescents handicapés… »satisfont à cette obligation en recevant soit une éducation ordinaire, soit, à défaut, une éducation spéciale, » Il y a donc dans la loi une priorité donnée à l’orientation vers les classes ordinaires par rapport aux classes spécialisées et aux structures médico-éducatives. (cela sera précisé par les circulaires de 1981 et 1982) Cependant, il va se développer dans l’Education nationale l’idée, infondée, de la nécessité que l’enseignant soit volontaire pour que l’élève handicapé puisse être accepté dans sa classe.
Le volontariat, il en sera question dans la seconde partie de cet article.